Photo : copyright Fabrice Cateloy
Mai 2001, 5H30 du matin, la citée antique de Palmyre est encore nimbée dans les ténèbres lorsque je quitte silencieusement le hall de hôtel en bordure du site. Le garde somnolant sur la banquette entrouvre un oeil encore endormi malgré mes pas feutrés. Certainement s’interroge-t-il sur ma motivation à sortir réaliser des photos alors que la pénombre règne sans partage à cette heure très matinale. Un petit geste de la main en signe d’acquiescement avant de replonger dans les bras de Morphée constituera mon passeport d’accès à ces ruines monumentales.
Dehors tout est calme, paisible, propice au vagabondage de l’imagination. L’usure longiligne des dalles de pierre par endroit me laisse entrevoir le passage du char de la reine Zénobie, un instant suspendu comme hors du temps.
Les repérages de la veille au soir permettent de me diriger sans trop d’hésitation parmi les colonnades et les chapiteaux corinthiens qui ornent les allées pavées. Arrivé devant ce temple majestueux, je déplie mon trépied en pensant aux millénaires qui séparent la préparation de cette prise de vue aux origines de sa construction remontant au IIIème siècle avant JC avant qu’il ne soit agrandi sous l’ère de l’Empereur Hadrien vers l’an 130 de notre ère.
La réalisation du cliché s’effectuera à l’aide d’un Fuji GX617 permettant l’exposition de film 120 au format 6X17cm. Quoi de plus magique que l’observation d’un ekta moyen format panoramique sur une table lumineuse. Aussi fabuleux soit-il, ce type d’appareil relève d’un fonctionnement un tant soit peu archaïque… entièrement manuel, aucune cellule pour la mesure de la lumière, aucun automatisme, pas davantage d’autofocus ou même de mise au point à l’aide d’un micro prisme ou d’un stigmomètre. Il faut prendre le temps de penser sa photo, un laps de temps nécessaire au cadrage, si large qu’il n’est pas rare que le champ embrasse des objets indésirables. Le cadrage effectué, la mesure de la lumière ne se révèle pas plus aisée, l’écart de luminosité d’un bord à l’autre de l’image pouvant être très important. Et la mise au point me direz-vous ? S’il n’existe ni autofocus, ni rampe de mise au point, comment s’effectue-t-elle ? Simplement par estimation visuelle, eh oui, c’est le terme exact. Dans les faits il faut estimer la distance séparant le sujet photographié de l’appareil photo tout en tenant compte du diaphragme utilisé qui vous permettra de lire sur l’échelle de l’objectif entre quelle distance minimale et maximale le champ cadré sera net… tout un programme ! (Je sais le jeux de mots était trop tentant !).
Ces opérations – contraignantes pour le néophyte mais ô combien réjouissantes lorsque l’on souhaite maîtriser sa prise de vue en totalité – étant réalisées, il ne reste plus qu’à attendre que le grand manteau noir cède sa place à l’aube du jour naissant.
Fébrile et impatient, je guette l’instant magique où les premiers rayons du soleil embraseront les pierres millénaires au point de leur donner cette couleur chaude qui leur sied à merveille. L’oeil rivé sur l’horizon, je savoure le bonheur d’être seul au coeur de cette cité jadis considérée comme l’un des plus importants foyers culturel du monde antique.
Alors que mes pensées errent dans les couloirs du temps, les pierres s’ornent progressivement d’une coloration orange, l’oeil rivé au viseur, je guette l’instant propice ou l’intégralité du temple sera sous le feu de l’astre solaire. Les quatre photos pouvant être exposées sur chaque film laissent peu de place à l’erreur, qu’il s’agisse d’exposition ou de mise au point, mais quel bonheur de manipuler cet appareil constituant l’essence même de la photographie, une équation on ne peut plus simple entre vitesse et ouverture.
Au final un matin magique m’ayant permis de fixer à tout jamais l’image du temple du seigneur des cieux phéniciens, détruit en août 2015 lors de l’occupation du site de Palmyre durant le conflit armé en Syrie. Une image maintes fois reprises par les magazines relatant la fabuleuse histoire de la cité antique.