Photo : copyright Yousuf Karsh Library and archives Canada Wikimedia commons
Si l’histoire ne devait retenir qu’une unique photo de Winston Churchill illustrant ses célèbres foucades, ce serait très certainement celle du photographe Yousuf Karsh réalisée le 30 décembre 1941 au Canada, l’une des images les plus reproduites de toute l’histoire de la photographie.
Partons à la découverte de l’auteur ainsi que du contexte dans lequel elle fut réalisée.
Originaire de la communauté arménienne chrétienne de Madrin en Anatolie du sud, Yousuf Karsh naît le 23 décembre 1908 en Turquie. Accompagné de sa famille, il quittera son village natal à l’âge de 15 ans pour fuir le génocide arménien en émigrant tout d’abord en Syrie avant de partir rejoindre son oncle George Nakash, célèbre portraitiste, au Québec. Il y effectue ses débuts avant de se rendre à Boston aux USA pour se perfectionner auprès du photographe de l’aristocratie et des célébrités de l’époque, John Garo. De retour au Canada en 1932, il ouvre son propre studio à Ottawa et devient assez rapidement le photographe de la haute société, étendant sa notoriété bien au-delà de sa ville. Lors de la seconde guerre mondiale, Ottawa devient le centre d’activités de la coalition alliée, donnant ainsi l’opportunité à Yousuf d’immortaliser les leaders politiques. C’est ainsi qu’il sera choisi pour réaliser le portrait de Winston Churchill lors de son déplacement canadien en 1941.
En ce 30 décembre 1941, nous sommes environ trois semaines après l’attaque de Pearl Harbor par les avions de chasse nippons. Les Etats-Unis sont désormais en guerre et Churchill vient juste de prononcer un discours devant le parlement canadien à Ottawa. Sitôt son discours prononcé, Churchill se retire dans une pièce où le photographe Yousuf Karsh a installé son matériel de studio. Mais n’ayant pas été prévenu qu’une séance photo devait avoir lieu, le Premier ministre britannique faisait montre d’une humeur peccante, accordant généreusement deux minutes au portraitiste pour réaliser son portrait qui déclara plus tard : « J’étais terrifié».
Impatient, le leader britannique extirpe un cigare de sa poche, l’allume et tire d’incessantes bouffées, inondant par là-même son visage de fumée. Yousuf lui tend alors un cendrier, nourrissant le secret espoir que son modèle délaisse son cigare le temps du cliché. En vain. En observateur attentif derrière le viseur de son appareil, le photographe attend longuement le moment propice, toujours gêné par la fumée qui virevolte devant le visage de Winston. Yousuf Karsh raconte lui-même la suite du déroulement de la séance photo : « Excusez moi Sir, puis j’ai arraché le cigare de sa bouche. Lorsque j’ai à nouveau regardé dans le viseur, il avait l’air si belliqueux qu’il aurait pu me dévorer ». Karsh appuie sur le déclencheur et réalise l’image qui incarnera le mieux la détermination d’en découdre du Premier ministre britannique face à l’Allemagne nazi, ce qui fera dire à Churchill : « M.Karsh, vous êtes capable d’arrêter un lion en plein élan ». Une réaction qui fera germer le titre de l’image dans l’esprit du photographe qui la nommera : « Le Lion rugissant ».
Ce sera le début d’une longue et brillante carrière, à l’issue de laquelle il pourra se targuer d’avoir réalisé plus de 11 000 portraits de personnalités, entre Londres, Paris, New-York et Ottawa.
En 1947, dans la période d’après guerre, Yousuf Karsh fut l’un des premiers à recevoir le certificat de citoyenneté canadienne afin d’honorer sa contribution à la culture du pays.Puis, plus près de nous, en 2017, une sculpture représentant le buste du célèbre photographe fut offerte à la ville d’Ottawa par la communauté arménienne lors du 25eme anniversaire des relations diplomatiques arméno-canadiennes.