Souvent galvaudée, utilisée à tord pour décrire une activité que l’on apprécie, la passion est un sentiment d’une rare intensité, exclusif, essentiel, irraisonné parce qu’on ne le contrôle pas et parfois destructeur, emportant tout sur son chemin. Une description en lien avec l’étymologie latine du mot passion signifiant souffrance.
Quel qualificatif permettrait d’exprimer avec suffisamment de force et de justesse la plénitude ressentie à l’âge de 10 ans lorsque j’ai pris mes premières photos à l’aide d’un Kodak Brownie ?
Emballement, engouement, enthousiasme ? Ce fut quoi qu’il en soit la naissance d’une vocation, d’un amour indicible pour l’image, d’une volonté farouche de vivre pour et par la photo, le début d’une folle aventure qui devait me faire parcourir le monde et vivre d’intenses émotions entrecoupées, il ne faut pas le cacher, d’insondables déceptions. A l’âge où les enfants se cherchent, souhaitant fréquemment reproduire les métiers de leurs parents, je venais sans en avoir pleinement conscience, d’effectuer le choix de mon chemin de vie alliant action, passion et communication… je serai photographe !
« JE SERAI PHOTOGRAPHE »
Si mon parcours professionnel se dessina clairement au hasard des rencontres, la première décennie de celui-ci fut le fruit d’une obsession constante de parvenir à mes fins. La force de la jeunesse n’est-elle pas de croire en ses rêves les plus fous, d’imaginer que nous serons capables de forcer les portes closes pour emporter la décision finale, de penser que tout est possible et que le meilleur va nous tendre les bras ?
Mon rêve d’enfant se matérialisa en 1990 lorsque je franchis la porte de l’agence Gamma Sport qui m’accrédita pour la saison du championnat du monde de vitesse moto. Je pénétrais de plein pied le « continental circus », ébahi de voir évoluer sous mes yeux les pilotes de légende que je regardais à la télévision : Eddy Lawson, Wayne Rainey, Randy Mamola, Kevin Schwantz, Mick Doohan ou Wayne Gardner, des noms illustres, inscrits à jamais dans l’histoire du sport motocycliste.
Vivant un rêve éveillé, je respirais photo, pensais photo et dormais photo. Tant et si bien qu’en parallèle aux GP moto, insatiable, je suivais également les courses de Formule Renault, Formule 3 et Formule 3000. Puis le grand jour de mon intronisation au bord des pistes de Formule 1 arriva suite à l’indisponibilité d’un photographe. Le facteur chance joue parfois un rôle inattendu et prépondérant dans une carrière…
Outre l’agence Gamma, je travaillais désormais pour de grands noms de la course automobile comme ELF, Gauloise blonde ou Pernod-Ricard. Suivront d’autres noms prestigieux comme Marlboro ainsi que les grands titres de la presse française et internationale. Une expérience de vie unique composée de voyages, de rencontres, d’adrénaline.
A la fin des années 90 et début 2000, la loi Evin, relative à l’interdiction de la publicité pour les cigarettiers et les alcooliers, vint mettre un terme à cette belle aventure qui aujourd’hui encore provoque un profond émoi lorsque j’y songe. Un bruit de moteur, une odeur d’essence et je replonge dans mes souvenirs.
Arrêter de photographier les sports mécaniques ne fut pas un choix personnel mais une contrainte subie accompagnée d’une immense déception ; la photo a beau être une passion, lorsqu’on l’exerce à titre professionnel il faut pouvoir en vivre…
Le photographe sportif que j’étais s’est donc mué en photographe institutionnel, publicitaire et industriel. Ces vingt dernières années furent jalonnées de joies et de déceptions, de défis grandioses à relever, de rencontres avec de grands capitaines d’industrie, des chanteurs ou acteurs de renom mais aussi et surtout de personnes anonymes m’ayant confié la représentation de leur image, de leurs créations ou de leurs entreprises.
Parmi l’ensemble des projets traités, l’humain a toujours été au coeur de mes préoccupations, qu’il s’agisse des relations avec un client ou de la réalisation d’un portrait.
Voilà désormais plus de trente ans que j’éprouve un plaisir immense à la rencontre, la découverte d’autrui, trente ans à observer, optimiser, s’adapter pour un triple objectif de qualité, de fidélité et d’humanité, trente ans de pluralité, de diversité, d’intensité, d’évolution et bien sûr de passion, cette passion qui ne m’a pas quitté un seul instant durant ces trois décennies malgré les mutations et expérimentations technologiques, les déceptions de projets sur lesquels je me suis investi sans qu’ils n’aboutissent, parfois les jalousies ou trahisons. Tracer son chemin de vie ne fut pas aisé, me plongeant parfois au coeur d’un abîme de désespoir ou me propulsant au nirvana lorsqu’un plaisir inattendu se dissimulait derrière la sonnerie du téléphone.
Le monde visuel a changé, la photo est à la mode et inonde nos vies. Fixe ou animée, rien ne saurait vous être vendu sans faire appel à l’image. Les chiffres donnent le vertige ! 2 263 photos sont chargées sur Facebook chaque seconde, soit 71 425 milliards par an…
Peut-on parler de banalisation de l’image ? Les smartphones ont-ils pris le pouvoir ?
Quels que soient les automatismes existants, la facilité avec laquelle nous réalisons des photos au quotidien, seuls comptent le regard de l’auteur, l’amour de l’image, la façon de sculpter la lumière, de la dompter pour en tirer le meilleur, seule compte la passion !